Une page en l'honneur des stylos

En cette Rentrée des classes 2019, je voudrais rendre hommage au stylo, principalement le stylo-plume, pièce maîtresse des listes de fournitures scolaires, rituel annuel adoré des élèves français et redouté de leurs parents !

La France est une des patries du stylo-plume, et dans l’esprit de beaucoup, le pays de Clairefontaine (qui dit stylo, dit papier), de J. Herbin (qui dit stylo, dit encre), et de Waterman !

NB : ceci n’est pas une page de pub

Une page en ligne sur des stylos, « bizarre », vous direz-vous. A l’ère de l’internet, de la tablette et du stylet, - inattendu, peut-être. Juste une page ajoutée aux milliers sur la toile déjà dévouées aux instruments d’écriture.

linéaires de papeterie en France © CH

L’ordinateur a gagné la bataille de la communication (de la composition et de l’archivage) mais n’a pas pour autant envoyé le stylo aux oubliettes. Au contraire. Le stylo s’est forgé de nouvelles lettres de noblesse et d’objet fonctionnel il est devenu objet d’art et de désir. Dommage qu’il ait dû prendre un virage vers le luxe dans de trop nombreux cas, le rendant moins accessible.

La réalité est que si un ordinateur est un outil, un stylo est bien plus que ça, bien plus qu’un simple instrument d’écriture.

Et si écrire était bien plus qu’écrire ?

La tradition et le savoir-faire relatifs aux instruments d’écriture remontent à des siècles et font encore leurs preuves dans le monde technologique et virtuel d’aujourd’hui. Ils sont même recherchés en tant que tels tandis que le support de l’écriture est dématérialisé au possible par l’informatique.

Aujourd’hui encore, un stylo accompagne les grands moments de la vie. C’est un cadeau pour les grandes occasions et on se souvient de qui vous l’a offert et à quelle occasion ; on s’en sert pour signer un contrat, l’achat de sa maison, son nouvel emploi. Et comme cela devient de plus en plus rare, un texte écrit au stylo-plume donne plus d’importance au message que l’on envoie, même si ce n’est qu’une carte d’anniversaire … Certains stylos se gardent toute une vie et se transmettent de génération en génération. Ils sont la madeleine de Proust de leur propriétaire, empreints de souvenirs. D’autres se collectionnent ; pas seulement pour leur valeur, mais pour leur esthétique, et pour le plaisir de tracer de belles lettres, et l'évasion mentale que procure cette activité artistique.

Le rituel tout mécanique de changer la cartouche a supplanté depuis belle lurette celui de tremper la plume d’oie ou d’acier dans l’encrier et pourtant les amateurs continuent à aimer recharger dans la bouteille d’encre avec la pompe. Il reste tout de même quelques éléments au cérémonial de l’écriture, certains détaillés ci-après.

Plumes Sergent-Major de Gilbert & Blanzy-Poure et plumes Mallat, deux grandes marques françaises de plumes en acier © CH

Reconnaissons que tapoter sur un clavier n’a rien de sensuel, en comparaison de laisser glisser son stylo sur un papier absorbant à souhait, juste assez, mais pas trop, caresser la feuille et y imprimer son caractère. On voit émerger les mots sur le papier ; on peut varier les encres ; s’énivrer de leur odeur ; jouir du contact avec le papier; on peut entendre ses pensées ponctuées par le chant de la plume, - il y a celles qui grattent, qui grincent, qui couinent, qui craquent … celles qui crissent et celles qui ne font pas de bruit !

Il est dommage que tout amateur de stylos-plume doive de nos jours faire des efforts pour créer les opportunités de les utiliser ! Tout le monde n’a pas la fibre épistolaire ni diariste, deux des prétextes fondamentaux à l'écriture. Je pourrais inclure la calligraphie.

On constate cependant que le renouveau des stylos-plume s’accompagne de la redécouverte des bienfaits de la tenue d’un journal.

Objets inanimés, titrais-je. Pas inanimés que cela, quand les plumes courent sur le papier, les stylos se patinent, l’encre brille et change de teinte en séchant …

La recherche dans de vieux écrits est une des raisons pour mon intérêt. Ces procès-verbaux de réunion de l’Alliance Française à Londres par exemple seraient-ils aussi émouvants et empreints d’histoire s’ils avaient été tapés à la machine ou à l’ordinateur ?

p-v du 20 août 1940, deux mois après l’Appel du Général de Gaulle

Lettre accompagnant un chèque de souscription à l’Alliance avec les meilleurs voeux de courage à la secrétaire générale

Même question pour cette lettre d’un agent en partance pour sa mission clandestine à la dame du SOE à Dorset Square qui lui a tenu compagnie avant son départ (d’ailleurs retardé) :

Lettre du 26 mai 1943 écrite par un agent sur le départ

Notez le soin apporté par cette jeune fille recopiant des poèmes pendant la guerre :

Toutes photos ci-dessus ©CH

Dans chaque exemple, l’émotion est dans le trait ! Ainsi que la personnalité. L’écriture comme empreinte digitale.

Accusez-nous de chauvinisme mais, dans un passé récent, bien des élèves français, recevant leur premier stylo-plume pour la rentrée des classes ou s’achetant un feutre en cours d’année, pensaient que Parrkair et Ouatèrmann étaient des marques françaises ! et ils n’étaient pas loin de la réalité comme nous le verrons plus loin.

Jusque dans les années 50 l’apprentissage de l’écriture était comme une initiation. On commençait au crayon à papier et quand on commençait à bien former ses lettres on avait le droit d’utiliser le porte-plume ! Un stylo-plume en cadeau suivait.

Les enseignants avaient le souci d’apprendre à bien écrire, avec pleins et déliés, et pendant longtemps ont dédaigné le stylo-bille.

La France est sans doute le seul pays à utiliser encore le stylo-plume comme instrument d’écriture généralisé à l’école – même si de nos jours cela est surtout vrai dans les écoles privées. Dans le public, des instituteurs vont même jusqu’à ajouter sur la liste des fournitures que les parents doivent acheter : « n’achetez pas de stylo-plume » ! En effet, arguent-ils, l’objet est fragile, la plume se casse facilement, il faut changer les cartouches, et, horreur, il fait des taches d’encre, sur le papier, sur les doigts ! Les enfants d’aujourd’hui ne connaissent pas les feuilles de papier enjolivées de pâtés ! Et tant pis si le stylo-plume permet d’avoir une plus belle écriture. Qui se soucie encore d’écrire joli ? Le geste scriptural n’a plus voix au chapitre.

Le stylo-plume a deux ennemis : le stylo-bille et le virage au numérique. Pourtant il survit !

Le stylo-bille est né en 1938, commercialisé après la deuxième guerre mondiale et véritablement entré dans les mœurs au début des années 60. Le bille a été autorisé à l’école en France par la circulaire du 3 septembre 1965.

C’est un stylo dont la plume est remplacée par une fine bille de métal qui étale sur le papier une encre spéciale de viscosité élevée, proche des encres d'imprimerie. Il nécessite davantage de pression qu’un stylo-plume pour écrire, comme tout étudiant qui a pris des notes pendant deux heures d’affilée de cours magistral le sait bien. En contrepartie d’un poignet douloureux, le bille évite les remplissages d’encre rapprochés et intempestifs, et les bavures.

Le Baron Bich, entrepreneur français, avait dû ruser pour faire entrer son stylo à l’école : il mettait des publicités sur les buvards et les protège-cahiers pour séduire les élèves. Séduire les parents, les enseignants et les gens de plume était plus difficile : à l’époque le plastique dont était fait son stylo était une matière méprisée (voir les Mythologies de Roland Barthes, publié en 1957). On est au début de la consommation de masse.

Le Jotter de Parker est l’autre bille icônique, une référence mondiale. Son design élégant, d’abord en acier inoxydable puis décliné en couleurs variées, a séduit des millions depuis son lancement en 1954. Sa mine rétractable est aussi rechargeable, ce qui était révolutionnaire au début. Il délivre une encre dense qui sèche en quelques secondes. Et le cliquetis de son piston est caractéristique !

Jotters de Parker (2007-2018) sur cahier ancien © CH            pub pour le stylo Bic Cristal, avec capuchon

Sans entrer plus avant dans ce sujet, je vous confie une autre particularité française : le capuchon ! Ailleurs, on préfère le stylo rétractable.

Le feutre, avec sa pointe en acrylique, est commercialisé depuis 1963, et le roller, avec une encre gélifiée ou à base d’eau, depuis 1973. Je ne parlerai pas d’un chouchou récent des élèves, le roller à encre thermo-réactive, - ou comment tuer l’émotion rien qu’avec le nom !

En 2015, Bic a lancé aux Etats-Unis une campagne pour sauver l’écriture manuscrite, Fight for Your Write. A voir et à soutenir : https://www.bicfightforyourwrite.com/

https://www.bicfightforyourwrite.com/mission

Cette campagne suit le moment, en 2014, où 45 états américains ont supprimé l’enseignement de l’écriture cursive de l’enseignement primaire – oui, vous avez bien lu (idem en Finlande) ! Certains sont depuis revenus là-dessus, réalisant que savoir produire une écriture ligaturée, c'est-à-dire avec les lettres liées entre elles, réduisant au maximum les levés de main, est non seulement indispensable pour LIRE les documents écrits de cette façon, mais aussi utilise des fonctions fondamentales du cerveau (comme la mobilisation de la mémoire motrice, l’esprit de synthèse etc) ! De nouvelles études démontrent un lien de cause à effet entre la baisse du niveau des élèves et l'emploi des claviers ! A peu près au même moment, des directives ministérielles en France encourageaient à modifier l’écriture cursive pour ressembler de plus en plus à l’écriture scripte, mais elles sont tombées aux oubliettes.

L’écriture française est particulière, comme toute personne qui a lu un menu écrit sur une ardoise dans un restaurant français le sait. Pourvu que ça dure ! Lire cette page d’une Australienne qui découvrit les différences culturelles en matière de graphologie et le charme de l’écriture française : http://ma-nouvelle-vie-en-france.blogspot.com/2010/06/lecriture-francaise.html

L’Allemand Staedtler, avec son Digital Pen, essaie de concilier l'écriture au bille et l'ordinateur avec un capteur de mouvement posé sur la page qui reconnaît la graphie et la transforme en fichier numérique. Le français S.T. Dupont a concilié le premier en 2010 élégance et praticité avec une clé USB dévissable intégrée au bout d’un stylo-plume.

Montblanc a renchéri en lançant un appareil connecté qui retranscrit numériquement les notes manuscrites que l’on prend, ou comment allier «le plaisir d’écrire sur du papier et l’efficacité du numérique».

Sans commentaire, par manque d’expérimentation.

Le stylo-plume, en grande partie sorti de l’école, s’impose alors comme accessoire – comme la montre par exemple. Il est devenu un accessoire dit ré-orienté : un objet plus recherché, un objet de mode. Toutes les grandes marques ont même maintenant des « séries limitées ». Même Bic s’y est mis d’ailleurs !

Le stylo n’est plus autant qu’avant un attribut du statut social de son propriétaire, concurrencé par le téléphone portable ! Pour les stylographiles, il reste objet de collection et objet d’exception !

Concernant la plume et les attributs du stylo, la couleur or fait plus traditionnelle, la couleur blanche (argent, rhodium, acier chromé) fait plus moderne. Certains amateurs encore favorisent l’or jaune, considéré comme plus doux et chaud, alors que l'argenté fait gris, froid et tristement sobre ! D’une façon générale, les stylos entrée de gamme ont des plumes en acier alors que le métal précieux orne les modèles plus chers. Mais ce n’est pas la seule raison de préférer une plume en or. En effet une plume en or (18 carats en France, 14 ailleurs) offre un grand confort d’écriture avec une plus grande souplesse – le prestige est à l’avenant.

Pour certains, la physicalité d’objets tels que les stylos et les disques est d'autant plus précieuse à l’ère du numérique et du virtuel. Prenez un stylo-plume comme le Duofold de Parker, - c’est un petit miracle d’ingéniérie ET c’est aussi une oeuvre d’art !

https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=258736

Un stylo est un objet on ne peut plus personnel ; on ne prête pas un stylo-plume. A l’usage, sa plume se fait à la main de son utilisateur comme une paire de chaussures en cuir à ses pieds, et peut être déformée par un usurpateur !

Le buvard, l’ouvre-lettres, la gomme spéciale encre, le sous-main, voire l’encrier ... La papeterie est aussi une spécialité française. Les bureaux s’adornent de parures, accessoires assortis. Amateurs et collectionneurs les chérissent. Il est rare en effet que l’amour des stylos n’engendre pas d’autres passions en relation avec l’écriture !

Un mot sur le papier : Tous les papiers ne supportent pas l’écriture à l’encre ! Pour profiter de son stylo-plume, il vaut mieux un papier d’un grammage (= densité du papier exprimée en gramme par mètre carré) élevé, 80g/m² minimum. Le choix ensuite se fait entre fin ou épais, brillant ou mat, lisse ou rugueux. Là c’est affaire de goût et de ressenti. Il faut que l’écriture glisse, sans que l’encre ne bave et ne traverse. Mais si le papier est trop glacé, comme celui de bien trop nombreuses cartes de vœux dans le commerce, cela ne va pas non plus ! Comme pour les stylos, il y a nombre forums et blogs pour guider le néophyte.

Quant au buvard, accessoire essentiel de tout utilisateur de stylo-plume, il est pourtant passé à la trappe. Les blocs de papier à lettres n’en comprennent souvent plus ! Le puriste en matière d’encres n’aime pas le buvard parce qu’il dénature la couleur de l’encre en la séchant / l’absorbant intempestivement, ce qui a sans doute contribué à sa quasi disparition.

Le buvard était utile pour « éponger » l'excès d'encre déposé lors de l'écriture à la plume. On s’en servait aussi comme sous-mains pour ne pas salir ou corner les feuilles de ses cahiers. Pour le simple utilisateur de stylo-plume, le buvard permet d’éviter les pâtés et de signer plusieurs pages rapidement par exemple. 

Le buvard, accompagnant l’écolier dans ses journées, est vite devenu un support de publicité. La France en particulier a nourri la riche diversité des buvards publicitaires, en vogue jusque dans les années 1970, maintenant objets de collection pour les papibeverophiles. Au-delà de l’école, tous les biens de consommation et les services ont eu recours aux buvards comme support publicitaire. Mais finalement, le stylo-bille, obviant le besoin de sécher l’encre, a tué le papier buvard - même si Bic à ses débuts a utilisé le buvard pour se faire connaître !

Buvards © CH

Le buvard mériterait une page web rien qu’à lui !

La passion du stylo-plume n’anime pas que les personnes qui l’ont connu dans leur enfance et leur scolarité. Un nombre réjouissant de jeunes gens les collectionnent aujourd'hui et s’en servent à tout bout de champ. Ils n’ont peut-être pas le même respect pour les grandes marques et les matières nobles mais leur enthousiasme et leur érudition concernant les stylos de tous pays et les encres de toutes couleurs et toutes textures sont remarquables. Ils animent des forums, écrivent des fiches « techniques » et postent des photos de nouveaux stylos et de nouvelles encres. Des clubs de fanas se réunissent ici ou là, autour d’une tasse de thé ou d’une bière et d’un déballage impressionnant d’instruments d’écriture, toutes générations et toutes marques confondues !

Un dernier mot sur l’encre : La marque Herbin, établie en France depuis 1670, est parmi les plus connues et les plus appréciées encore aujourd’hui. Son encre violette était utilisée par tous les écoliers jusqu’à la Deuxième Guerre Mondiale. Louis XIV et Napoléon Bonaparte utilisaient l’encre Herbin. Herbin créa même une encre noire spéciale pour Victor Hugo, pour sa plume d’oie bien sûr !

Pour en finir, les mordus d’objets d’écriture regroupent les collectionneurs de plumes en acier, ceux qui collectionnent les encriers (les atramantophiles), les encres (ont-ils un nom spécifique ?), les carnets. Que ces mots rébarbatifs ne vous rebutent pas, les instruments d’écriture suscitent passion, collections et engendrent des amitiés insolites.

à lire : https://www.collectionplumesanciennesecriture.net/
et https://www.collectionplumesanciennesecriture.net/

à retenir : Toute encre ne produit pas son meilleur effet avec tout stylo et sur tout papier ! … Rien n’est simple quand on se penche sur la question ! Le plaisir est aussi dans l’expérimentation et l’échange.

Les marques de stylos les plus anciennes ont écrit la légende des instruments d’écriture et elles continuent d’allier expérience, technologie et innovation créative pour proposer aux amateurs des objets d’une utilité quotidienne et d’un esthétisme raffiné.

La France est leader dans l’industrie du luxe. Par luxe à la française, on entend parfum, haute-couture ou maroquinerie. On risque d’oublier les stylos : on connait bien le savoir-faire français en matière de Haute-Couture. Parlons un peu ici de Haute-Ecriture.

La sélection des trois marques est toute personnelle et ne répond à aucun impératif commercial.

Waterman

Le stylo Waterman a été inventé en 1883 par l’Américain Lewis Edson Waterman, un courtier en assurances irrité d’avoir manqué la signature d’un contrat à cause d’un porte-plume défaillant. Le premier stylo-plume à réservoir allait naître. La société allait remporter une médaille d’or à l’Exposition Universelle de Paris en 1900. Depuis, la marque est devenue une référence dans le monde de l'écriture. Elle englobe une variété de matières et de couleurs, de designs et de modes et vise à perpétuer l'expression de l'élégance.

Des campagnes publicitaires originales vont aider la marque à être découverte et adoptée.

L’arme de la paix: réclame française pour le stylo Waterman « Idéal » 1919. bridgemanart.com
Publicité, ou plutôt réclame, de 1923 dans L’Illustration

En 1926, Jules Isidore Fagard, représentant de la marque en France, prit une licence Waterman afin de fabriquer les stylos par le biais de sa société, J.I.F., devenue ensuite Jif-Waterman. C’est dans cette usine, en 1927, qu’est inventée puis commercialisée la cartouche en verre, qui va rester une exclusivité de Jif-Waterman pendant vingt ans. 1953 voit naître la cartouche en plastique, réserve d’encre qui va remplacer la cartouche en verre.

Le CF (= Cartridge Filler), stylo phare de Waterman, est lancé dans la foulée en 1953. Il s’inspire du design futuriste d’une fusée, imaginé par un dessinateur de la General Motors de Détroit. Harley Earl dessine aussi pour le CF un clip novateur, partie intégrante du capuchon taillé en biseau, dont les deux bras se rejoignent à l'extrémité. Mais en 1954, Waterman Etats-Unis cesse sa fabrication et Jif-Waterman demeure la seule entreprise à fabriquer le CF, très prisé en France. Devenu un best-seller, il restera leader de la marque pendant 30 ans, et sa cartouche en plastique deviendra un standard.

© CH

En 1971, fait remarquable, la filiale Waterman France ayant mieux vécu que la maison-mère outre-Atlantique rachète Waterman USA, puis la filiale britannique, et devient ensuite Waterman S.A. (société anonyme), cotée en Bourse.

Pendant près de vingt ans (1970-1988), Francine Gomez, PDG de Waterman et petite-fille de Jules Fagard, et Alain Carré, le dessinateur de stylos, ont l'inspiration heureuse et vont influer à la marque un vent de succès.

En 1983, pour le centenaire de la marque, Waterman lance le « Man 100 », pour concurrencer le 149 de Montblanc. A cette époque Waterman est le premier fabricant de stylos plume européen et le troisième mondial.

Le Concorde (1971), un écrin (années 80) et le Man 100 Patrician (1992)

Un fleuron récent de la marque Waterman est l’Edson, sorti en 1992 d’abord en France puis en Grande-Bretagne, enfin aux Etats-Unis, pour commémorer le fondateur de la marque. C’est un stylo très original, particulièrement pour la beauté du contraste entre la résine bleue du corps et le capuchon mat doré. Il est d’une grande qualité de fabrication, digne de l'aéronautique. Il est garanti ne pas couler en altitude (grâce à un compensateur interne qui corrige les écarts de pression)! Ses détracteurs lui reprochent une plume raide. Il n’en reste pas moins que l’Edson arbore une magnifique plume intégrée, triangulaire, en or jaune de 18 carats, et gravée de la lettre W dans un hexagone. L’encliquetage du capuchon est très souple, car monté sur ressorts.

Plus produit depuis 2015, il symbolisait une élégance à la française associée à une certaine grandeur un tantinet ostentatoire ! Une perte pour le haut-de-gamme de la marque. Qui confirme peut-être que Waterman a été positionné en dessous de Parker par leur actuel propriétaire commun, l’Américain Newell Rubbermaid !!!

Le saviez-vous ? On dit que Jean-Marc Ayrault, récent premier Ministre et ancien maire de Saint-Herblain écrit avec un Edson. Réjouissons-nous car c'est la première fois depuis François Mitterrand, grand féru du Man 100, qu’un leader politique français utilise un Waterman.

À lire : http://espaceecriture.canalblog.com/archives/2013/05/01/27055978.html par Philippe H. Colombet-Meystre.

À voir : les conseils d’un collectionneur américain pour choisir son stylo Waterman : https://www.youtube.com/watch?v=38H48N8KjYE

PARKER

Parker est également une marque initialement américaine, créée en 1888 par Georges Parker, un enseignant dans le Wisconsin. Une filiale anglaise est établie en 1924, ainsi qu’une usine, à Newhaven, dans le East Sussex et qui, une fois la marque rachetée aux Américains, abritera aussi le siège social de la marque (jusqu’en 2010). C’est là qu’ont été fabriqués les modèles les plus connus de Parker. Mais aujourd’hui, de tels produits, comme les stylos Vector et Jotter ainsi que la célèbre gamme Duofold, les encres et les recharges pour stylos-bille sont fabriqués … en France. Le site de Saint Herblain, près de Nantes, qui faisait déjà des Waterman a été choisi en raison de la maîtrise du laquage, de la galvanoplastie et de la fabrication des plumes en or, des savoir-faire uniques en Europe. Après plusieurs restructurations (douloureuses), le site de Nantes avait vocation à devenir « le centre d’excellence mondiale de la production d’écriture ».

Il y avait des stylos Parker fabriqués en France depuis bien plus longtemps : Parker Pen France a été créée en 1953, et l’usine française Parker était à Méru, dans l’Oise. Certains des modèles Parker, comme le Sonnet, ont toujours été fabriqués en France.

En 1986 la direction anglaise de Parker racheta la société américaine.

Un des slogans prophétiques de Georges Parker, bien avant que ses stylos ne deviennent des icones à l’échelle planétaire, et qui résonne particulièrement en nous, était : “Our pens will write in any language”.

Depuis plus d'un siècle, Parker est à la pointe du design, en créant des stylos parmi les plus performants. Au-delà de simples outils d'écriture, ils sont des symboles de modernité pour chaque nouvelle génération. Certains, comme le Duofold, le 51, le Jotter sont des icônes.

En 1921, Parker lance le Duofold. Il étonne par sa taille, sa couleur initialement rouge orangé, sa solidité et son prix élevé. Extravagance des années folles ! Son succès est assuré par une importante campagne publicitaire. Décliné en couleur jaune mandarin en 1927, modéremment appreciée, il sêduisit Colette par son originalité et il devint son favori.

Colette et son Duofold (DR)

Le 51 est probablement le stylo mythique de la marque. Il a été créé pour célébrer le 51e anniversaire de la compagnie, sera lancé en 1941 et sera pendant longtemps un de ses best-sellers. Dessiné par le designer Bauhaus Moholy-Nagy, son allure aéro-dynamique était révolutionnaire à l’époque. Son autre caractéristique est sa plume capotée dont seule la pointe est visible.

publicité de 1950 pour le 51. DR

Malgré des restrictions de production pour le marché civil, de grandes quantités se vendirent pendant la Seconde Guerre mondiale au cours de laquelle les soldats américains écrivaient à leurs familles en Parker 51. Un nouveau 51 fut lancé en 1951, pourvu du remarquable système d’alimentation Aerométric, réservoir en plastique transparent très solide. Le 51 a une place permanente au Museum of Modern Art de New-York.

Le saviez-vous ? La célèbre agrafe en forme de flèche n’a été adoptée par Parker qu’en 1933 (sur son stylo Vacumatic), mais elle est à ce jour reconnue de tous et a réussi son pari, - graver la marque dans les esprits.

À lire : Pour en savoir plus, voici une page passionnante sur l’histoire de Parker : http://espaceecriture.canalblog.com/archives/2013/05/01/27056684.html

À voir : Ce film, sorti à l’occasion du 125e anniversaire de la marque en 2013 : https://www.youtube.com/watch?v=a_1Zk24WcRg

Maintenant, tout est moins drôle, finies ces aventures d’inventeurs et d’entrepreneurs, les marques Reynolds, Paper Mate, Waterman et Parker appartiennent au même groupe mentionné plus haut. Waterman et Parker ont à la fin du XXe siècle subi des changements de propriétaires qui ont malmené leur marque ; souhaitons-leur stabilité et créativité au XXIe.

DUPONT

Y a-t-il nom plus français que Dupont ? Même si on n’en connait pas personnellement, on se souvient de Dupond et Dupont, les deux personnages fictifs des Aventures de Tintin par Hergé et de leur devise « motus et bouche cousue » ! Là s’arrête la comparaison !

Un stylo Dupont est particulièrement un objet de luxe, car il est fabriqué de façon artisanale.

En 1872, Simon Tissot Dupont, entrepreneur d'origine savoyarde, ouvre une maison de maroquinerie à Paris. Il crée des accessoires notamment pour l’Empereur Napoléon III et l’Impératrice Eugénie, qui comptent parmi ses premiers clients. L'entreprise S.T. Dupont est reprise par ses deux fils après la Première Guerre mondiale et en 1923, ils décident d'installer une usine de production en Haute-Savoie, à Faverges. La société fabrique des mallettes de voyage de luxe et, pour la petite histoire, l’une des dernières mallettes fabriquées a été offerte par le Président de la République Vincent Auriol à la Reine Élisabeth II pour son mariage. En 1947, l’acteur Humphrey Bogart commanda à la maison Dupont un sac de voyage : Ce sera le "Bogie' - du surnom donné à l'acteur -, aujourd'hui réédité. En 1953, André Tissot Dupont imagina le sac Riviera, en série limitée, associé depuis à une cliente exceptionnelle d’élégance, l’actrice Audrey Hepburn, qui passa en même temps commande d'un porte-cigarette et d'un briquet.

Fabricants de briquets à essence pendant la Seconde Guerre mondiale, ils ont ensuite orienté la production vers les briquets de luxe. À partir de 1952, ils ne fabriquent plus que des briquets et S.T. Dupont devient leader sur le marché. « Le Dupont », comme on l’appelle, devient un objet mythique dans les années 60. Un de ses slogans publicitaires était : « la flamme la mieux habillée du monde ». Aujourd’hui encore, dans une culture non-fumeuse, il célèbre l’art du feu.

En 1977 S.T. Dupont renoue avec sa vocation première : la maroquinerie. Comme un écho aux noces de sa grand-mère, le prince William a reçu de la part de la France une mallette S.T. Dupont à l'occasion de son mariage en 2011 ! En 2011 également, haute-couture rencontrait haute-écriture : Karl Lagerfeld imaginait pour Dupont stylos et briquet au design inédit. En 2012, pour ses 140 ans, l'État français décerna à la marque le label « Entreprise du Patrimoine vivant ».

© S.T. Dupont

La marque s’est lancée dans le stylo en 1973, à la demande de Jackie Kennedy Onassis qui en voulait un assorti à son briquet. Ce premier stylo-bille de prestige, décliné en argent et en vermeil, allait devenir une autre icône Dupont : le Classique. La première collection de stylos-plume est ensuite créée et aujourd’hui, les stylos représentent environ 20 % du chiffre d’affaires. Dupont a réactualisé le style de son premier modèle, mais la ligne très effilée reste l’élément distinctif.

La marque S.T. Dupont est synonyme du savoir-faire français, et plus qu’une marque, c’est un orfèvre du stylo. Les stylos de la gamme « Classique » sont des pièces d’exception proches de l’objet d’art. Ou comment être beau et tenir l’épreuve du temps.

le classique © CH

Le patrimoine technique de la marque, constamment perfectionné depuis des décennies reste le travail des métaux précieux, comme l’or et l’argent, et la laque de Chine. Celle-ci est la spécialité de la maison : la laque de Chine, naturelle, transformation de la sève de l’arbre appelé Rhus Vernicifera, est l’ADN de la marque qui l’utilise depuis les années 1930 et la décline à l’envi sur les différentes gammes. Elle est appliquée à la main ; pas une pièce n’est pareille ! De même que chaque plume, fabriquée par un partenaire, est testée une à une. L’opérateur fait des s, des zigzags, et si la plume gratte, ré-ajuste les becs. Pour faire un stylo, plus d’une vingtaine de pièces sont à assembler, près de 150 opérations pour le monter.

Malgré les stylos ci-dessus, très féminins, et après une mauvaise passe, S.T. Dupont se concentre aujourd’hui sur une offre pour l’homme : briquets, stylos, petite maroquinerie. C’est une marque de luxe contemporain, ambassadeur dans le monde de la qualité, de la créativité et de l’art de vivre à la française : Dupont opère 90 % de ses ventes à l’étranger.

En 2009 son PDG, Alain Crevet, envoya des stylos à quelques personnalités, dont le président de la République, Nicolas Sarkozy : "ça m'a énervé que notre président utilise un Montblanc, une marque allemande, alors qu'il pouvait utiliser un stylo français", expliqua Crevet. Le président, sous le charme de son nouvel accessoire, fit équiper son cabinet de stylos Dupont et en offrit aux dignitaires en visite, ce qui contribua à redorer le prestige de la marque. La tradition continua sous le président Hollande. Si l'actuel président a un stylo-plume préféré, sa marque n'est pas connue.

Le saviez-vous ? En 1962, Pablo Picasso grava ses dessins (un harlequin, un Pierrot et un faune) sur des briquets et une pendulette en série limitée.

À lire : http://espaceecriture.canalblog.com/archives/2013/04/30/27049559.html

À voir : reportage sur FR3 : http://fresques.ina.fr/rhone-alpes/fiche-media/Rhonal00270/l-entreprise-de-luxe-dupont-a-faverges.html

Egalement, interview du PDG à https://www.dailymotion.com/video/xruoq9

Un certain nombre d’écrivains (professionnels autant qu’amateurs) continuent à entretenir une relation forte avec leur stylo. Il reste le prolongement de leur pensée, l’outil même de la pensée. L’écriture comme liberté ultime.

Colette : le Duofold de Parker en jaune mandarin

Joseph Conrad : le Duofold Senior de Parker en noir

Sir Arthur Conan Doyle : le Duofold “Big Red” de Parker (vers la fin de sa vie)

Alain Robbe-Grillet : un Parker à pompe, encre noire

Romain Gary alias Émile Ajar : les Parker, en particulier le 75. Mais il achetait aussi ses Montblanc par trois, et en avait plusieurs pleins d’encre sur son bureau pour ne pas s’interrompre quand ils étaient vides !

Albert Camus : un Vacumatic ou un 51 de Parker

Marcel Pagnol : le 149 de Montblanc

La prédominance de Parker ci-dessus reflète la prédominance de la marque entre-deux-guerres et le fait que son encre (Quink) avait la réputation de sécher rapidement.

On espère qu'aujourd'hui, tout écrivain qui se respecte inscrit ses dédicaces avec un stylo-plume et pas un bic baveur !

À voir : « Le stylo, notre signature », un documentaire de France 5 qui s'intéresse à la relation intime entre un écrivain et son outil de prédilection. Jean-Christophe Rufin, Amélie Nothomb, Daniel Pennac etc se confient. 52’. https://www.youtube.com/watch?v=dmBNPgOGykg

Saint-Exupéry dans Le Petit Prince : « S'il vous plaît... dessine-moi un mouton [...]. Aussi absurde que cela me semblât à mille milles de tous les endroits habités et en danger de mort, je sortis de ma poche une feuille de papier et un stylographe. »

Colette dans La Vagabonde : « Ecrire! pouvoir écrire ! cela signifie la longue rêverie devant la feuille blanche, le griffonnage inconscient, les jeux de la plume qui tourne en rond autour d’une tache d’encre, qui mordille le mot imparfait, le griffe, le hérisse de fléchettes, l’orne d’antennes, de pattes, jusqu’à ce qu’il perde sa figure lisible de mot, mué en insecte fantastique, envolé en papillon-fée… […] Je prends encore la plume, pour commencer le jeu périlleux et décevant, pour saisir et fixer, sous la pointe double et ployante, le chatoyant, le fugace, le passionnant adjectif… »

Blaise Cendrars : « Je ne trempe pas ma plume dans un encrier mais dans la vie »

Philippe Sollers : « J'aime les stylos Parker de taille moyenne, ni trop grands ni trop petits. Les miens sont à plume, avec une pompe à encre bleue et le logo de la marque qui rappelle que les mots sont comme des flèches. D'ailleurs, il sort du sang de cette pompe et lorsque je remplis mon stylo, c'est comme si je me piquais avec une drogue puissante. J'ai choisi ces plumes en particulier car elles glissent parfaitement sans faire de bruit sur le papier « velouté » et à gros carreaux de mon cahier Clairefontaine à spirales. Toujours le même. J'ai fait une grande provision d'encre bleue à Venise en imaginant qu'elle serait imprégnée de l'air de la lagune. […] Écrire à la main est l'acte réfractaire d'un déserteur de la communication. Cette vie clandestine me permet de mieux analyser ce monde, plus froidement. […] J'aime écrire le mot « mort » et le mot « mot ». Leur proximité orthographique est comme un défi que le mot lance à la mort. » http://www.philippesollers.net/le-stylo-de-philippe-sollers.html

François Cavanna (Charlie-Hebdo) : « Ma parole, c’est l’écriture. À la main. Tant que je pourrai écrire une ligne, je serai présent parmi les vivants. »

Porte-plume (n.m.) dip pen
Stylo-plume, stylo à plume, stylo à encre, stylographe, stylo à pompe (n. m.)  fountain-pen
Stylo-bille, stylo à bille, bic (n.m.) Stylo-bille, stylo à bille, bic (n.m.)
Stylo feutre (n.m.) felt-tip pen
Porte-mine (n.m.)  propelling/mechanical pencil
Plume (n.f.) nib ; dip pen nib (métallique pour porte-plume)
Cartouche (n.f.) cartridge
Agrafe, barrette (n.f.) clip
Papier buvard, buvard (n.m.) blotting paper
Signature manuscrite (n.f.) wet signature
Griffonner to scribble
Écrire avec pleins et déliés with full/thick strokes/downstrokes and fine/thin strokes/upstrokes (exemple: La lettre O a deux pleins et deux déliés)
L’anglaise = l’écriture anglaise [Ecriture élégante très prisée au XIXe siècle, qui accentue les traits pleins et déliés] copperplate writing

Se faire un sang d’encre to be worried sick
Ça a fait couler beaucoup d’encre it was much written about
D’un coup de crayon - d’un trait de plume  at the stroke of a pen
La plume est plus forte que l'épée the pen is mightier than the sword *

* The English phrase is from the novelist and playwright Edward Bulwer-Lytton in 1839, in his historical play Cardinal Richelieu.

Remerciements à Christophe Beaumale pour sa police cursive très réussie que nous avons utilisée pour le titre et les sous-titres.

Notre titre : D’après un poème de 1830 intitulé «Milly ou la terre natale» d’Alphonse de Lamartine (1790-1869) qui se termine par : «Objets inanimés, avez-vous donc une âme / Qui s'attache à la nôtre et la force d'aimer ?»

© CH pour texte et photos sauf mention différente

PS: Vous avez des ajouts ou des compléments à proposer ? des corrections ? des suggestions ? Ecrivez-moi à histoire@alliancefrancaise.london ou, à la main, de votre plus belle plume, en français ou en anglais, à Stylografil, Alliance française de Londres, 1, Dorset Square, London, NW1 6PU.